Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au fil des jours...
Archives
19 avril 2024

Mon discours

Il est enregistré sur mon ordinateur, j'en garde une copie dans mon dossier et je sais qu'il va être conservé dans les archives de la Légion d'Honneur mais, puisque ce blog est avant tout mon journal, mon pense-bête ou mon cahier de souvenirs, je tiens à le mettre ici.

Le discours est aussi un moment protocolaire important de la cérémonie.

C'est un discours de remerciement, qui arrive après "l'éloge" faite par le parrain et la remise des insignes.

C'est un moment que certains redoutent ; ce n'est pas mon cas.

J'ai l'habitude et ne crains pas de prendre la parole en public, le seul frein aujourd'hui, ce pourrait être l'émotion.

Et l'émotion était là, me brisant deux ou trois fois la voix.

"En novembre 2009, il y a près de 15 ans, étonnée et plus émue que je l'aurais imaginé, je recevais la médaille d’honneur de l'administration pénitentiaire.

Puis, il y a deux ans, Alain, président de la Croix-Rouge de Tarn et Garonne, me remettait au nom du Président national, la médaille d'argent de la Croix-Rouge.

Mon action reconnue par le ministère de la justice et par la Croix-Rouge, j'étais comblée. Que pouvait-il m'arriver de plus ?

 

Pourtant l'année dernière, au mois de février, un appel téléphonique m'indique que je fais l'objet d'une proposition de nomination au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur. Il ne peut s'agir que d'une erreur.

Je sais qu'on la donne à des artistes, à des sportifs mais ce n'est pas mon monde. Pour moi la Légion d'Honneur, c'est pour les héros, pour quelqu'un qui a sauvé une vie, pour des chercheurs, pour quelqu'un qui a fait une découverte capitale dans le monde scientifique..

Je ne fais pas non plus partie de ces gens là moi.

Enquête, contacts, la procédure suit son cours.

Alors, en ex-fonctionnaire, je m’attache au mot "proposition". T'emballe pas Jacquie, c'est une proposition, et rien qu'une proposition.

 

Pourtant, le 14 juillet, c’est en larmes que je lis et relis le texto du Président de la Croix-Rouge qui m'apprend  que je suis nommée Chevalier de la Légion d'Honneur, et le Journal officiel précise 56 ans de services professionnels et associatifs.

Mais pourquoi ? et pourquoi moi ?

J'ai été fonctionnaire, au service de l’État, pendant 33 ans et si j'ai toujours fait mon travail avec sérieux et conscience professionnelle, j'étais rémunérée pour çà. ça n'a rien de glorieux.

 

Et 33 ans de bénévolat.

Mais les bénévoles, ce ne sont pas des héros. Ce sont des gens qu'on rencontre partout où les structures officielles ou les pouvoirs publics ne peuvent pas faire, n'ont pas les moyens de faire.

Ce sont eux qui accueillent et gèrent les enfants dans les clubs sportifs, ce sont eux qui créent l'animation dans les villages, dans les clubs du 3ème âge, les chorales, eux qui diffusent la culture, protègent la nature, notre patrimoine. En ville, ils sont la cheville ouvrière des grandes manifestations, des festivals, des marathons...

Ce sont eux aussi qui se mobilisent pour les grandes causes, les restos du cœur, la recherche médicale, le don du sang ou le Téléthon.

 

Être bénévole, ce n'est pas un métier, mais c'est être spécialiste et même expert dans l'art de la débrouille et du système D, capable de tout et de n'importe quoi.

Les bénévoles, vous les voyez aujourd'hui devant un ordinateur, rédigeant un rapport ou une demande de subvention, mais ce sont les mêmes qui demain trimballeront des tables, colleront des affiches, tiendront la buvette, essaieront de faire fonctionner un micro, vendront des crêpes ou feront cuire des merguez.

 

Des bénévoles, j'en ai rencontré, il y a 34 ans dans une cour de ferme. Ceux-là s'aimaient beaucoup, riaient beaucoup. Mais ils ne manquaient pas d'imagination pour organiser des manifestations pour trouver des financements et auraient remué ciel et terre pour récupérer du matériel agricole ou des semences, du matériel médical, et ils passaient des heures à trier des vêtements ou des fournitures scolaires.

Ceux-là étaient capables de faire 50 heures de camion vers des villages roumains pour apporter aux agriculteurs des matériels que nous jugions obsolètes mais dont ils avaient tant besoin et pour améliore la vie des enfants de l'orphelinat et j'ai pu vivre avec eux cette formidable expérience humaine.

Avec Passerelles, j'ai découvert la misère, pas la pauvreté de nos pays riches, mais la vraie misère, celle où l'on voit des enfants pieds nus dans la rue ou des hommes aller aux champs avec des morceaux de pneu au pieds en guise de chaussures.

 

Des bénévoles, j'en ai connu, regroupés en comité de soutien, animant des réunions d'information, alertant la presse, fréquentant les radios locales et faisant s'envoler chaque mois des centaines de ballons jaunes dans le ciel de Tours, pour qu'on n'oublie pas Vincent,  otage en Tchétchénie.

Auprès de sa famille et de ses amis, j'ai pris conscience de l'importance de la liberté, de l'importance de la vie, et çà a changé la mienne.

 

Ma vie est ainsi faite d'opportunités, de rencontres. Rencontre avec la misère, avec la barbarie et la perte de liberté, avec la maladie et le handicap au sein de l'AFM, avec la culture à l'Université du 3ème âge, enfin rencontre avec le monde carcéral.

 

Depuis 25 ans, des bénévoles, j'en rencontre au quotidien, qui font de la distribution alimentaire, soignent des bobos ou prennent de plus graves décisions sur les postes de secours, s'occupent de personnes âgées isolées, font de l'aide aux devoirs, apprennent le Français à des migrants ou vont chaque soir à la rencontre de ceux qui vivent dans la rue.

Et puis il y a celles qui sont à mes côtés, pour accueillir avec respect et bienveillance, ces familles dont la vie et pour un temps plus ou moins long bouleversée par l'incarcération d'un proche.

 

Les bénévoles, ce ne sont pas des héros, mais ils sont un rouage essentiel de notre société, qui ne pourrait fonctionner sans eux et en laisserait davantage encore au bord du chemin.

Je ne suis pas un héros, je suis juste bénévole.

Et si, parce qu'au gré de quelques articles dans la presse, je suis aujourd'hui mise à l'honneur, ce sont tous les bénévoles, dans tous les domaines, que je souhaiterai voir ainsi mis en lumière

***

Il est de tradition dans ce type de cérémonie, comme lors des Césars ou des Oscars, de remercier Papa, maman et tout le monde.

Je vous fais grâce de cette litanie parce que la liste pourrait être longue et que j'aurais trop peur d'oublier quelqu'un.

Je préfère remercier globalement et mentalement tous ceux qui, au cours de ces 56 années de vie professionnelle et associative m'ont fait profité de leur expérience, de leur expertise, de leur savoir-faire mais aussi de leur motivation et de leur envie d'aller au bout des choses.

C'est la somme de toutes ces rencontres, de tout ce que j'ai appris d'elles, qui font de moi celle que je suis aujourd'hui.

 

Je ne voudrais surtout pas attrister cette cérémonie mais je ne peux passer sous silence ceux que j'aurais tellement voulu avec près de moi aujourd'hui.

Ma fille Hélène bien sûr qui, suivant mon chemin a été plusieurs années bénévole à la Petite Maison, mais ausi mon Papa, profondément républicain et gaulliste jusqu'aux bouts des ongles qui aurait été si fier de me voir là aujourd'hui.

 

Et puis j'ai une pensée pour deux personnes qui nous ont aussi quittés dont je ne donnerai que les prénoms mais que certains reconnaîtront.

Tout d'abord Jean-Michel, qui m'a offert son amitié il y a bien longtemps et a eu suffisamment confiance en moi pour me faire décerner la médaille pénitentiaire alors que je n'avais que 4 ans d'activité dans le monde carcéral.

Et puis mon ami Marie-Luc, qui m'a soutenue et réconfortée dans des moments de doute et de découragement. C'est grâce à lui, et pour lui, que je suis encore aujourd'hui bénévole à la Croix-Rouge.

 

Enfin il y a quelques vrais remerciements.

Tout d'abord merci à ma famille, qui est pour moi essentielle, car je suis persuadée que c'est d'abord au sein de la famille qu'on trouve l'énergie et l'envie d'avancer.

 

Merci à toi, Joël, qui lorsque tu m'as épousée, il y aura 55 ans demain, n'imaginait sans doute pas vivre un tel tourbillon. Ton tempérament te destinait sans doute à une vie plus calme. Mais tu as dû vivre mes mutations, mes engagements, mes emballements...

Si certains choix ont pu te perturber, comme celui de te faire quitter ta région d'origine pour me suivre en Tarn et Garonne, ou te surprendre comme celui d'apprendre le Roumain, ou celui plus improbable encore d'abandonner à 50 ans une vie et un salaire de fonctionnaire pour devenir bénévole à temps complet, tu les as largement acceptés et respectés.

 

Merci à vous mes enfants qui avez aussi vécu par ricochets la vie que j'ai choisie. Vous aussi avez dû trimballer des tables, trier du linge, servir à la buvette ou aider ici ou là, en fonction de vos âges et de vos possibilités.

Et si je vous ai sans doute souvent bousculés à l'heure du repas du soir, parce que je rentrais crevée ou qu'il y avait une réunion à 20h30, je ne pense pas vous avoir négligés pour autant et espère au contraire vous avoir inculqué quelques valeur et montré un chemin de vie.

 

Quelques mots aussi pour vous, mes petits-enfants, même si vous vivez tout çà d'un peu plus loin.

Je veux aussi vous remercier, pour l'affection et le respect dont vous nous entourez, Papy et moi.

Je veux aujourd'hui vous dire, à vous les plus grands, combien je vous admire. J'admire votre capacité de résilience, j'admire la façon dont vous menez votre vie, j'admire les adultes que vous êtes devenus. Je suis très fière de vous.

Je me suis bien sûr adressé aux plus grands mais je ne t'oublie pas ma Pépette, et avec ton petit côté médiateur et assistante sociale, je ne doute pas que tu deviendras aussi quelqu'un de bien.

 

Merci à vous tous, élus,  personnalités, amis ou relations qui êtes là pour moi aujourd'hui.

Merci à vous les membres de la Légion d'Honneur qui êtes là pour m'accompagner pour mon entrée officielle dans la SMLH.

Enfin merci à vous Philippe B-- qui avez non seulement accepté, mais m'avez gentiment proposée de me remettre cette distinction.

Je suis parfaitement consciente de l'honneur qui m'est fait.

Alors devant ma famille, devant mes amis, devant vous tous, je promets d'en rester digne et de tout faire pour ne jamais vous décevoir"

***

Peut-être cette page sans photo vous aura un peu surprises, peut-être ce discours vous a t-il paru un peu long, peut-être ne l'avez vous pas lu dans son intégralité.... mais c'est important pour moi qu'il soit ici, car il est un moment important de ma vie.

Et je vous promets que demain, il y aura à nouveau des photos.

Alors...

 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
merci Quaquie de nous avoir plongé dans ton discours ! Magnifique !<br /> Encore quelques larmes ont coulé.....<br /> Gros bisous
Répondre
C
Quel beau discours, bien profond, touchant sans oublier personne. Il y a des moments dans la vie qu'il faut souligner bravo
Répondre
N
MERCI POUR CE BEAU DISCOURS <br /> J'ai essuyé une larme d'émotion<br /> Bisous Quaquie
Répondre
M
Merci et à demain ! BISES
Répondre
I
Magnifique ! Merci beaucoup pour ce joli partage ♥️🌸
Répondre
G
Bonjour Quaquie<br /> Un très beau discours. Non, il n'était pas long, Il fallait dire les choses, et c'est ce que tu as fait. BRAVO .Bonne soirée. Gros bisous.
Répondre
L
très beau discours et très émouvant biz
Répondre
D
sincère et émouvant !<br /> Bisous
Répondre
N
j'ai bien lu jusqu'au bout, ton parcours, celui de tes accompagnants et de ta famille...<br /> à ce propos, je vous souhaite un bel anniversaire de mariage, 55 ans demain... pour nous ce sera dans 3 mois !<br /> bonne journée, amitiés,
Répondre
C
On ne peut s'empêcher d'être ému à la lecture de ton discours. Avec les bonheurs que tu as eu mais aussi les malheurs et des plaies qui ne se refermeront jamais, tu sais être toi et être présente pour beaucoup de personnes. Pour tout ça, merci ma Quaquie
Répondre
C
Bravo ! Je te retrouve bien là, fidèle à ce que tu es , altruiste et reconnaissante. Tu es bien entourée, tu le mérites. En pensée avec les absents chers à ton cœur .<br /> Un beau discours touchant . Décidément tu me fais pleurer ! :) <br /> Bises à toi et à Joël et à ceux qui vous accompagnent.
Répondre
M
Non.. il n'est pas long ton discours, je sais combien il est difficile de parler de soi en public, dans ces circonstances quand on est quelqu'un de discret d'être sous la lumière, tous les yeux rivés sur soi, les oreilles attentives curieusement, on a envie d'être loin, très loiiiinnnn !<br /> C'est un moment inoubliable, tu ne peux pas le passer sous silence. <br /> Je pense que tu en a pris conscience lorsqu'en répertoriant ton parcours de vie tu as rédigé ton texte, lu, relu, chronométré.... <br /> <br /> Des comme il toi, y en a très peu, alors, oui, cette médaille est une reconnaissance de la France, tu peux en être fière<br /> Son insigne sur la boutonnière de ta veste est le symbole du respect que l'on te doit !
Répondre
C
RESPECT à vous Madame.....<br /> corinne74
Répondre
G
Quel texte magnifique Quaquie, bien sûr que je l'ai lu en entier, et il m'a beaucoup ému. Il est à ton image, simple, direct et plein de bonté un mot un peu désuet aujourd'hui et qui pourtant ne devrait pas être oublié. Merci à toi Quaquie de nous avoir remis en évidence les qualités essentielles d'une vie tournée vers les autres.
Répondre
F
Une belle BÉNÉVOLE une grande DAME <br /> belle journée <br /> Fanchon
Répondre
B
une pure merveille, que te dire tu es formidable et tu mérites cette médaille pour tous tes engagements, ton discourt est émouvant. bises
Répondre
R
Félicitations et chapeau bas pour ce parcours de vie au service des autres
Publicité