Inoubliable rencontre
On a sans doute toutes des gens que l'on admire, que l'on aimerait rencontrer. Ce peut être un chanteur ou un acteur de cinéma, un sportif, un homme politique, un humanitaire, quelqu'un qui, à un moment donné, a marqué l'actualité ou accompli un exploit. Mais la rencontre reste souvent du domaine du rêve, de l'utopie.
Et puis, parfois, un coup de pouce du destin, une occasion, et le rêve devient réalité.
C'est ce que j'ai vécu hier et cette journée du 21 avril 2010 restera à jamais dans ma mémoire.
Vous avez sans doute compris à travers quelques articles que j'étais impliquée en tant que bénévole dans le milieu carcéral : je suis entre autres, référente prison-justice pour la Croix-Rouge Française auprès de la maison d'arrêt de mon département.
Je participe à ce titre à des journées de formation ou d'information organisées pour nous par la Croix-Rouge, et en particulier, chaque année aux "rencontres nationales". J'ai ainsi eu l'occasion de voir et d'entendre M. Jean-Paul Delevoy, le médiateur de la République et M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général de lieux privatifs de liberté. Des interventions de très haut niveau.
Et puis hier....Je ne me suis pas pour une fois, installée au milieu de la salle avec certains collègues comme nous le faisons habituellement. Nous avons d'emblée envahi le 1er rang.
Pour marquer l'importance de cette journée, c'est M. Jean-François Mattéi, ancien ministre de la santé et Président National de la Croix-Rouge qui nous accueille. Il y a bien longtemps que je connais sa position sur le monde carcéral, mais j'ai toujours plaisir à l'entendre la rappeler.
Près de lui, M. Jean-René Lecerf, Sénateur du Nord et rapporteur auprès du Sénat de la "nouvelle loi pénitentiaire". Il devrait intervenir plus tard, mais il accepte gentiment que le programme soit chamboulé ; c'est un cas de force majeure.
Car IL" est en retard mais "IL" a promis qu'il viendrait.
"IL" était cette semaine encore en Moldavie et en Ukraine, pour se rendre compte des conditions de détention des mineurs dans ces pays. Piégé lui aussi par les problèmes d'avion, il rentre en voiture !
Enfin "IL" est là. Il entre discrètement mais tous les regards sont déjà sur LUI.
LUI, c'est Maître Badinter ! Le ministre de la Justice, garde des sceaux de François Miterrand, l'homme qui a aboli la peine de mort !
Il profite de la fin de l'intervention de M. Lecerf, dont les propos ne semblent pas engendrer la tristesse
Quelques notes rapides...
Puis, visiblement fatigué, et même épuisé par 56 heures de voyage en voiture "Maître Badinter" monte à la tribune, dans un silence quasi-religieux.
Ni l'âge, ni la fatigue, n'ont raison de ses convictions et de son pouvoir de persuasion. Il dit, et on écoute. Il dit la promiscuité, les problèmes psychiatriques, la difficulté de faire bouger les choses dans ce monde clos. Il nous félicite et nous remercie, nous les bénévoles, pour ce que nous apportons en prison, persuadé que seuls les échanges dedans/dehors et l'oeil extérieur peuvent faire évoluer la condition carcérale.
Puis il se lance dans un vrai réquisitoire contre la rétention après la fin de la peine "On ne garde pas les gens en prison pour les actes qu'ils ont commis, mais pour ce qu'ils sont, ou pour ce qu'ils pourraient être... comment a t'on pu tomber dans un tel piège ?" Et il termine sur cette phrase "il faut savoir ce que l'on veut : une justice d'insertion ou de réinsertion ou une justice d'élimination".
Maître Badinter a parlé ! Un tonnerre d'applaudissements salue la fin de son intervention, des applaudissements prolongés, témoignage d'admiration, de reconnaissance aussi sans doute pour cet homme qui a fait avancer notre pays sur le chemin de l'humanité.
Il restera encore un moment avec nous échangeant en toute simplicité avec M. Mattéi et M. Lecerf .
A la même tribune : deux anciens ministres, un de François Miterrand, un de Jacques Chirac, oeuvrant dans le même sens, pour la même cause : un beau symbole et un beau succès pour ces 5ème rencontres nationales.